Baromètre des investissements
La nouvelle année apporte de nouveaux déf i s et opportunités, tout particulièrement pour les économies africaines et le développement global du continent. Pour CHINAFRIQUE, deux experts en économie présentent leur vision d’avenir pour l’Afrique.
Martyn Davies
Directeur général des marchés émergents et de l’Afrique au cabinet Deloitte
L’Afrique a connu en juillet 2014 un choc similaire à la chute de Lehman Brothers. Depuis la mi-2014, le prix du pétrole a entamé une chute vertigineuse après ses sommets à 142 dollars mi-juillet 2008. Les conséquences pour le développement de nombreuses économies africaines et pour les entreprises qui avaient investi ont été majeures. Le schéma narratif sur une ? Afrique qui monte ? a vraisemblablement conduit à une inaptitude générale à prévoir et à réduire les risques de la part des multinationales dans la région. Elles doivent maintenant s’adapter à la version 3.0 de l’économie africaine d’après crise.
L’économie mondiale doit toujours composer avec les risques. L’Afrique n’est pas différente et en raison du manqué de diversi fi cation économique général, elle est très vulnérable aux facteurs externes et aux chocs. Elle est par conséquent extrêmement sensible aux risques. Quels sont cependant les risques qui menacent les investisseurs en Afrique en 2017 ?
Un accroissement de la crise de la dette
De nombreux pays africains font face à une explosion de leurs budgets, le secteur public ayant contracté trop de dettes qu’il est incapable de rembourser. Les pays africains doivent plus de 35 milliards de dollars de dette obligataire en euros. Le ratio dette/PIB atteint des sommets irréalistes. Sur des marchés nationaux, un taux de 60 % est insoutenable et les gouvernements doivent réduire leurs dépenses publiques. L’Afrique du Sud est actuellement à 51,3 %, alors que le Mozambique af fi che 130 %, et le pays devrait faire défaut. La tendance générale en 2017 indique une implication accrue du Fonds monétaire international auprès de certains pays africains, la nécessité de réforme structurelle et la réduction générale des dépenses des états.
Des capitaux ? pris au piège ?
De nombreux pays africains imposent des contr?les de capitaux a fi n de ren fl ouer leurs réserves en devises. Avec la baisse des réserves en devises, qui s’ajoute souvent aux tentatives des autorités de défendre leur monnaie qui se déprécie rapidement, de nombreuses entreprises se voient imposer des restrictions de change ; elles ne peuvent pas rapatrier les dividendes et les capitaux investis et ont un accès limité aux devises. Cette situation est surtout saillante au Nigéria, en Angola et au Zimbabwe.
La question pour les investisseurs en Afrique se posera de manière plus accrue : comment se protéger des risques sur les devises et rapatrier ou réinvestir les capitaux ? pris au piège ? ?
Des risques réglementaires qui s’accroissent
Les initiatives règlementaires prises au cours de l’année par certains pays africains peuvent être décrites comme ? agressives ?, car elles cherchent à extraire de grosses sommes des entreprises qui ont investis pour effractions réglementaires. Un exemple typique est l’amende de 1,7 milliard de dollars de MTN (elle a été réduite) au Nigéria et une amende exceptionnelle de 75 milliards d’Exxon Mobil au Tchad. Les entreprises doivent être vigilantes avant d’aller plus loin devant le besoin des états d’extraire de plus de plus de rentes.
Des risques sur les devises
Avec l’effondrement du prix des matières premières ces trois dernières années, la volatilité des devises dans de nombreuses économies émergentes et frontières a montré sa capacité de les ébranler. Les monnaies les plus touchées ont été le metical du Mozambique, le naira du Nigéria et le kwanza de l’Angola. Les monnaies dévaluées et des politiques monétaires souvent inef ficaces ont dissuadé les investisseurs étrangers et ont eu un effet négatif sur les budgets de toutes les économies reposant sur le pétrole en Afrique. Ces risques resteront présents en 2017, surtout pour ces pays.
Risques potentiels de faillites bancaires
La santé déclinante de nombreuses économies africaines va entra?ner la faillite d’un certain nombre de banques en 2017. Elles sont simplement sous capitalisées dans de nombreux pays, principalement au Nigéria, au Ghana, au Mozambique, en Angola, en République démocratique du Congo (RDC) et au Kenya. Ronak Gadhia du cabinet juridique Exotix Partners LLP de Londres a déclaré à Bloomberg en novembre 2016 que ? Les petites banques du Kenya sont confrontées à un cocktail dangereux de marges et de liquidités en baisse, et de détérioration de la qualité de leurs actifs, qui peut au mieux contraindre à consolider le secteur, ou au pire à faire éclater une crise bancaire généralisée ?. Tout dépendra de la fa?on dont les gouvernements réagirontpour empêcher ou gérer les faillites bancaires, ce qui déterminera leur trajectoire économique sur le long terme. Une situation similaire s’était produite en Asie du Sud-Est et en République de Corée après la crise fi nancière de 1997, et des le?ons peuvent être tirées.
La production de pétrole est essentielle pour de nombreux pays africains.
Des risques politiques et de gouvernance
Le récit des marchés émergents ne repose en fi n de compte que sur la gouvernance. Dans de nombreux pays de la région, il est de toute évidence nécessaire de changer l’approche en termes de gouvernance politique et économique. Certains pays sont capables de contenir tout risque lors des transitions politiques, comme le Ghana, alors que d’autres sont dans l’instabilité. Des exemples récents de 2016 incluent le Gabon et la Gambie. L’Angola, le Kenya et la RDC pourraient être touchés par des chocs politiques en 2017. Même la succession politique de l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud, fi n 2017 et les incertitudes politiques qui en résulteront peuvent potentiellement affecter négativement l’économie.
Le prix des matières premières resteront bas pendant longtemps
Le prix des matières premières qui continue d’être bas, notamment le pétrole, est une source de préoccupation prolongée. Le nouveau plafond du baril à 60 dollars indique une croissance en-de?à des tendances pour les économies reposant sur le pétrole par rapport à ces dernières années. Aucune ressource autre que le pétrole ne donne autant d’espoir pour le développement, mais aucune autre ne donne cependant que des résultats minimes. C’est particulièrement vrai pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Les pays dont l’économie repose sur les matières premières sont mal armés face à la chute des cours et subissent donc des pressions à la baisse du PIB.
Risques pour le rééquilibrage de la Chine
Les perspectives de croissance chinoise sont inextricablement liées au prix des matières premières. Le modèle de croissance du pays a été incroyablement gourmand en matières premières, poussé par l’urbanisation rapide et les investissements colossaux en infrastructures. Il a soutenu les pays exportateurs de matières premières. Il n’y a pas de consensus clair sur la fa?on dont le ? récit chinois ? va se dérouler. Une crise économique, c’està-dire un atterrissage en catastrophe, pourrait avoir des effets cumulatifs graves sur l’Afrique. Les années de croissance à deux chiffres sont terminées en Chine. L’économie est en phase de rééquilibrage, passant d’une économie de surinvestissements à une économie des services. Alors que la croissance chinoise change de forme et que son modèle fort consommateur de matières premières régresse, les conséquences pour les pays exportateurs de matières premières se font gravement sentir en Afrique.
L’Afrique émerge maintenant du fond du cycle des matières premières mais l’économie mondiale fait encore face à des risques systémiques. Les économies frontières sont caractérisées par des risques élevés. Si une reprise progressive est en vue dans les économies d’Afrique Centrale et de l’Ouest courant 2017, les entreprises doivent continuer à pouvoir identif i er les risques émergents et réduire leur impact sur leurs activités. La stratégie de la ? force d’ame ? va se poursuivre en 2017, et les investisseurs vont devoir passer en revue leurs stratégies de réduction des risques pour s’adapter aux territoires changeants et variés sur le continent africain. CA
(L’auteur est directeur général des marchés émergents et de l’Afrique au cabinet Deloitte.)
Optimiste pour l’Afrique
L’Afrique est constituée de 54 pays distincts, ainsi qu’un certain nombre de blocs commerciaux régionaux, ayant chacun leurs propres opportunités et dé fi s. Malgré un épisode de croissance globalement ralentie au cours des cinq dernières années, un certain nombre de pays ont tout de même enregistré une forte croissance. Alors que les économies d’égypte, de Libye et de Tunisie ont été affectées par les troubles politiques du Printemps arabe, et que les exportateurs pétroliers africains se sont retrouvés vulnérables à la suite du déclin du cours du pétrole, le reste du continent africain continue de conna?tre une croissance forte et, souvent, en accélération. Dans l’ensemble, les perspectives de croissance sont positives et les fondamentaux pour une croissance continue sont en place.
L’Afrique possède une population jeune et une main d’?uvre de plus en plus importante, ce qui constitue un atout précieux dans un monde vieillissant. Le continent devrait continuer à conna?tre l’urbanisation la plus rapide au monde, avec plus de 190millions de personnes s’installant dans les centres urbains d’ici 2025. Quelque quinze villes devraient alors atteindre une population dépassant les cinq millions d’habitants. Le continent abrite également des ressources naturelles importantes, qui n’ont pas encore été pleinement utilisées.
L’environnement économique africain est relativement dynamique, avec 700 entreprises générant des revenus supérieurs à 500 millions de dollars chacune sur le continent – dont 400 qui réalisent plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires. Cependant, il reste encore de nombreuses opportunités et ce chiffre doit doubler.
L’importance du secteur manufacturier
L’industrie manufacturière est un moteur vital du développement économique. La base manufacturière de l’Afrique est relativement faible et s’est développée lentement. Le potentiel existe pourtant pour doubler la production manufacturière en Afrique sur les dix prochaines années. Il suff i t de s’attaquer à la question des produits d’importation, qui pourraient être produits localement ou régionalement. Pour réaliser cela, les pays africains et les décideurs politiques doivent prendre des mesures audacieuses.
L’Afrique ne peut accomplir une augmentation signif i cative de sa part dans la production manufacturière mondiale, simplement sur la base des faibles co?ts de sa main d’?uvre. Les économies africaines doivent stimuler leur compétitivité productive dans sept domaines : la productivité de la main d’?uvre, l’énergie électrique, les terrains industriels, les mouvements de biens, l’environnement commercial, les systèmes f i nanciers et les droits de douane. Les gouvernements doivent agir en fonction de la catégorie de production manufacturière présentant les meilleures opportunités de croissance compétitive dans leurs pays et intervenir de manière spécif i que et hiérarchique.
Recommandations pour l’Afrique
Alors que les opportunités abondent, les gouvernements africains doivent s’assurer qu’ils prennent des mesures décisives pour parvenir à transformer les opportunités en réalités. Certaines de ces mesures incluent la mobilisation des ressources nationales pour f i nancer les infrastructures nécessaires à la croissance future, la diversif i cation intensive des économies, la préparation des talents nécessaires pour l’avenir, la poursuite soutenue d’un agenda d’intégration régionale pour créer des marchés plus importants, ainsi que l’amélioration de la gouvernance du continent et des capacités de ses dirigeants.
L’Afrique doit créer un environnement sain pour que les entreprises puissent grandir, comme le démontre le nombre relativement faible – proportionnellement – de grandes entreprises dans de nombreuses régions du continent. La Chine est devenue un partenaire de plus en plus important dans l’agenda de croissance de l’Afrique.
Viser le long terme
Il est désormais évident, que la Chine est devenue un partenaire majeur pour la croissance africaine. à l’heure actuelle, les entreprises chinoises opèrent dans de nombreux secteurs. Loin de se limiter à la construction ou au commerce, elles investissent désormais de fa?on active dans la construction de nombreuses activités de production et de services à travers le continent. Dans le rapport du McKinsey Global Institute, il appara?t que les multinationales qui ont le mieux réussi en Afrique sont celles qui opèrent sur le continent depuis plus de dix ans.
Ainsi, il est crucial pour les entreprises chinoises investissant en Afrique d’avoir l’état d’esprit sur le long terme. Par ailleurs, il est important de noter que les grandes entreprises africaines se développent plus rapidement et enregistrent des bénéf i ces plus importants que leurs homologues dans d’autres pays du globe. Lorsque les entreprises entrent sur un marché et s’y établissent, elles doivent s’assurer d’apprendre la culture locale, de débusquer les opportunités et de s’intégrer dans la communauté locale des affaires.
L’analyse préliminaire de McKinsey s’intéresse également à la nature de la relation entre la Chine et l’Afrique. Selon elle, l’activité économique de la Chine en Afrique serait plus étendue et plus profonde que ce que la majorité des observateurs imaginent. Ces entreprises ont, pour la plupart, un impact socioéconomique important sur le continent. Cela dit, les opportunités restent encore nombreuses. Les gouvernements et les entreprises d’Afrique vont devoir se tourner de plus en plus vers la Chine comme partenaire de leur croissance économique. Les deux parties devront réf l échir de manière proactive à la fa?on de modeler cette relation croissante, d’une fa?on qui soit mutuellement bénéf i que et durable sur le long terme. CA
(L’auteur est associé au bureau de Nairobi de McKinsey & Company.)
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