par Ge Lijun
La Chine adopte une approche alliant transmission et utilisation rationnelle pour garantir la perpétuation de son patrimoine culturel immatériel
Lors de l’exposition de ses chefsd’?uvre de xylogravure, le principal intéressé – l’artiste et grand ma?tre Yang Luoshu – n’était pas présent sur place.
?gé de 91 ans, sa santé ne lui permettait pas de faire le déplacement hors de son village de Yangjiabu, à Weifang dans la province du Shandong (est). Mais il a tout de même insisté pour faire parvenir une vidéo, dans laquelle il formule aux visiteurs de l’exposition ce v?u : ? J’espère que tous les arts manuels pourront être transmis de génération en génération. ?
Des coques pour téléphones portables décorées d’images liées aux 24 périodes solaires chinoises.
Si le grand ma?tre a exprimé ce souhait,ce n’est pas sans raison. En effet, en 2000,toutes les familles de son village – plus de 1 000 – pratiquaient l’art de la xylogravure.Aujourd’hui, seules quatre ou cinq persistent encore. Avec la diminution des artisans, la nature de cette forme d’art a changé.
? Auparavant, on collait les imprimés sur les portes lors du Nouvel An chinois, et on changeait chaque année le motif. Maintenant,les ?uvres de xylogravure sont devenues de simples objets de collection ?, dit Yang Fujiang, fils du ma?tre, aussi un artisan de cet art. M. Yang n’est pas des plus optimistes quant à l’avenir. Comme il n’est plus nécessaire de changer annuellement les motifs,les ventes sont mauvaises et les revenus ont beaucoup diminué, ce qui a mené petit à petit à l’abandon de cette pratique.
? Dans mon village, très peu de jeunes veulent poursuivre cet artisanat. Mon père est inquiet et nous avertit souvent qu’il ne faut jamais l’abandonner, qu’importe combien d’argent on gagne ?, dit M. Yang àCHINAFRIQUE.
Il s’agit là d’un dilemme fréquent auquel sont confrontés les arts manuels traditionnels dans une société moderne. La Chine ne fait pas exception et explore désormais de nouvelles méthodes pour résoudre ce problème.
L’exposition des ?uvres du ma?tre Yang,qui s’est tenue en mars 2018 dans le Centre d’expérience de Yongxin Huayun sur l’avenue Qianmen de Beijing, était une occasion pour le grand public de découvrir cet art– inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de Chine en 2006.
? Il s’agit de la cinquième exposition dans le cadre du projet organisé pour les représentants du patrimoine culturel immatériel national à Qianmen. Ce projet joue un r?le important dans la promotion de la protection et de la transmission des techniques culturelles traditionnelles. On espère qu’à travers ces expositions, le public sera davantage sensibilisé à l’importance du patrimoine culturel immatériel, de manière à ce que plus de personnes puissent participer activement à sa protection ?, a déclaré M. Ma Wenhui, président de l’Association nationale de protection du patrimoine culturel immatériel, lors de l’ouverture de l’exposition.
Parmi les techniques exposées, beaucoup ont changé au fil des ans – passant d’objets pratiques à objets de collection –comme c’est le cas pour les xylogravures de Yangjiabu.
? Je pense que c’est un processus inévitable. Dans un tel cas, nous devons agir à deux niveaux : tout d’abord, nous devons prêter attention à ces héritages, car ce sont des parts précieuses de notre culture. C’est pourquoi nous organisons des expositions,pour mieux comprendre leur tradition et leur richesse spirituelle ?, a indiqué M. Ma àCHINAFRIQUE.
? Ensuite, nous devons les sauvegarder autant que possible, en fournissant un soutien social pour assurer la transmission des ma?tres aux apprentis ou à travers l’école,a-t-il ajouté. Par exemple, des instituts de recherche sur le patrimoine culturel immatériel ont été créés en Chine. Les zones de protection sont aussi une solution. ?
La zone de protection culturelle et écologique nationale de Weifang, approuvée par le ministère de la Culture en novembre 2010 dans la province du Shandong, est la neuvième zone de protection culturelle en Chine. Depuis les dynasties des Ming et des Qing, le bassin de la rivière Weishui a été un important centre de production d’artisanat populaire. Au milieu et à la fin du XXesiècle,plusieurs techniques traditionnelles telles que les cerfs-volants, les xylogravures, le découpage du papier, la sculpture en argile,les jouets en tissu et les broderies s’y sont développées, suscitant beaucoup d’intérêt en Chine et à l’étranger.
Un artiste produit des imprimés à l’aide de xylogravure dans le village Yangjiabu de Weifang,au Shandong (est).
? Les couleurs, les motifs, les formes et les techniques de ces artisanats reflètent la sagesse des gens ordinaires de la société agricole, démontrant leur esprit, leurs émotions et leurs croyances. C’est leur expression culturelle. Cet héritage est né de leur vie. C’est une chose unique et c’est notre culture et nos racines ?, a expliqué M. Ma.
Couvrant 16 100 km2, cette zone vise à garantir la protection globale du patrimoine culturel immatériel du bassin de la rivière de Weishui, en maintenant l’équilibre et l’intégrité de l’écosystème culturel et en suscitant une prise de conscience culturelle des gens. Une telle zone aidera enfin à promouvoir le développement économique et social global, coordonné et durable de ses 8,679 millions d’habitants issus de nombreux groupes ethniques tels que les Han,les Manchous et les Hui.
Les couleurs, les motifs, les formes et les techniques de ces artisanats reflètent la sagesse des gens ordinaires de la société agricole, démontrant leur esprit, leurs émotions et leurs croyances. C’est leur expression culturelle.Cet héritage est né de leur vie. C’est une chose unique et c’est notre culture et nos racines.MA WENHUI,président de l’Association nationale de protection du patrimoine culturel immatériel
Pour garantir une bonne protection, il est aussi essentiel de mettre en place une exploitation et une utilisation rationnelles.
? Par exemple, on peut s’inspirer des styles, des motifs, des idées, des couleurs et des contenus culturels venus du passé.Que ce soit la forme, le contenu ou la connotation culturelle, tout peut être appliqué à l’industrie culturelle actuelle. La conception créative ne pose aucun problème, mais l’important est de les développer d’une fa?on rationnelle afin de promouvoir le développement commercial et économique ?,a poursuivi M. Ma.
Selon l’UNESCO, l’économie créative représente actuellement 3 % du PIB mondial et génère 29,5 millions d’emplois dans le monde. Elle est un moteur essentiel du développement durable et un élément important de la compétitivité urbaine. à Beijing,par exemple, l’industrie culturelle et créative représente 13 % du revenu industriel de la ville. Le 23 septembre 2018, Ernesto Ottone Ramirez, sous-directeur général pour la Culture de l’UNESCO, et Li Yongjun, président du Groupe d’investissement de l’industrie culturelle Yongxin Huayun,ont signé un nouvel accord de partenariat,qui stipule que les deux parties ont décidé de verser quatre millions de dollars supplémentaires dans le Fonds commun de l’UNESCO et de Yongxin Huayun au cours des cinq prochaines années. Créé en 2015,ce fonds appuie la protection du patrimoine vivant et fait la promotion d’une économie créative propice à un développement urbain durable.
? Nous devons utiliser cette dynamique pour assurer la prospérité de la protection et de la créativité du patrimoine culturel immatériel et en faire un moteur essentiel du développement durable ?, a souligné M. Ramirez au cours d’une visite à Qianmen.
Chen Wenjun, praticien de l’industrie de la culture créative, estime que la clé de la protection du patrimoine culturel immatériel passe par la consommation.
? Pourquoi est-il nécessaire de protéger ce patrimoine ? Parce qu’il a été séparé de la réalité, et il ne répond plus aux besoins actuels et a donc perdu son marché.Le seul patrimoine qui est véritablement protégé est celui qui est consommé. Cela correspond à un processus d’adaptation et de commercialisation en réponse aux besoins du marché ?, a-t-il expliqué au magazine chinoisFaren.
Une figurine créée à Chenguan,dans la province du Henan.
La ville de Weifang cherche aussi à tirer son épingle du jeu : elle a promu la coopération entre ses industries des cerfs-volants, la soie de Liutuan et les xylogravures de Yangjiabu et les grandes marques de mode internationales, notamment L’Oréal, Hermès et Armani.
Cependant, certains experts mettent en garde contre une commercialisation excessive du patrimoine culturel immatériel.? Dans la province du Gansu (nord-ouest),on a créé une bande dessinée mettant en vedette lesTu’er Ye, des lapins d’argile colorés de Beijing utilisés lors des sacrifices au dieu de la Lune. Mais cette représentation n’a rien à voir avec sa connotation originale ?, a critiqué M. Liu Kuili, directeur adjoint du Comité national d’experts pour la protection du patrimoine culturel immatériel.
De plus, sous l’impulsion du marché,la multiplication des cas de contrefa?on et d’imitation est inévitable. à cet égard,Huang Zhongshan, chercheur de l’Académie des sciences sociales de Beijing, a proposé sa propre solution. Selon lui, les départements de la culture, les plateformes internet concernées et les grands ma?tres doivent unir leurs efforts pour créer un système de certification du patrimoine culturel immatériel.
? Somme toute, l’utilisation du patrimoine culturel immatériel doit reposer sur sa valeur fondamentale originale. Sinon, on risque de l’endommager plut?t que de le protéger ?,rappelle M. Ma. CA